Les pieuses promesses d'un autre monde purement spirituel et malgré tout enviable ne sauraient lui suffire.Angelots joufflus soufflant des divines musiques, petits nuages blancs au secours de leur pudeur, clefs d'un royaume dont on n'a jamais vu la porte, chœur lointain des vierges et carrousel doré des auréoles, autant de perspectives qui ne soulèvent chez lui qu'un enthousiasme modéré.
     Son ciel idéal serait plutôt un lotissement de grasses prairies où le permis de construire autorise les chaumières et le permis d'aimer invite les cœurs.
Pour mieux s'y préparer dès son terrestre séjour, Monsieur Taureau s'aménage une préfiguration à lui d'un bonheur éternel. Il s'assure d'une fidèle compagne. Le Taureau est une âme simple dans un corps qui ne cherche pas la complication mais cultive le pragmatisme. Afin de dénicher l'heureuse élue, il consacrera sa jeunesse à un appel d'offres aussi joyeux que persévérant. C'est un sélectif qui, pour conjurer la méprise, ne rechigne pas devant le test.
Au terme de quoi, parmi les belles de nuit les plus ardentes, il choisira une bonne cuisinière et de préférence un peu charnue. Gourmand, fortement attaché à l’abondance des nourritures terrestres, secrètement poursuivi par la peur de manquer, le Taureau a tendance à fuir les vaches maigres.
     Si la libido demeure la résidence principale de ses aspirations, elles feront de la gastronomie leur résidence secondaire. Ce qui ne converge pas vers le sexe aura toute chance de se porter vers le palais.
La psychanalyse pourra y déceler un reliquat de cette phase orale que traversent tous les nourrissons et qui demeure, pour le Taureau, un pôle de fixation. Au point que la beauté comestible est sans doute la seule notion surréaliste qui ait une chance de le mobiliser.
     Ce bon Signe de terre, en effet, demeure très attaché aux données d'un réel immédiat. Il lui faut du tangible. Son âme est celle d'un proprio. Si peu agressif soit-il, on le verrait mordre pour défendre son patrimoine. Pas touche à son magot, non plus qu'à sa clôture, non plus qu'à sa femme, partie intégrante de ses terres. Ecoutez-le dire «ma femme» et constatez que le possessif est largement aussi accentué que la substantive. Pas question de lui chiper sa perle, il a ouvert trop d'huîtres pour la trouver. Il vous dira lui-même qu'il se réserve le droit exclusif de cultiver son labour. Il vous a des airs de garde champêtre et conserve jalousement sa clé des champs dans sa poche de cuir sur velours côtelé.

     Peu rêveur, il entretient tout au plus un imaginaire assez palpable. Parfois, le soir, il s'abandonne à l'idée qu'une séduisante nudité sort du puits. Non pas vraiment la Vérité mais plutôt la Fortune. Le lendemain, il risquera son argent à la Française des Jeux. Le jackpot est pour lui la plus noble conquête de l'avant bras.

     Bien sûr, le Taureau n'est pas toujours ce beauf macho et traditionaliste dont nous avons peut-être forcé le trait. Il gagne à être mieux connu.
Faites partie de son cercle d'amis – pour peu que vous soyez bon vivant vous avez toutes vos chances– il vous apparaîtra sous son meilleur jour.
     Sa table est généreuse. Il n'a pas son pareil pour cuisiner le gibier, faire sauter les bouchons et raconter finement des histoires un peu salaces. Il aime les primeurs, la nature, les saisons. Le Soleil d'été l'invite à rechercher l'ombre des jeunes filles en fleur.

     Le mieux est encore de le découvrir avant que les pesanteurs bourgeoises ne l'installent dans son confort casanier et dans cette idée prudente que tout ce qui verdoie au loin n’est pas vert pâturage.
     Vous l'apprécirez alors, ce joyeux luron coureur de monts et merveilles (Mont de Vénus et merveilles attenantes, principalement). Vous verrez le Taureau se changer en torero pour les corridas de la séduction. Vous le verrez brillant, même après avoir dévêtu son habit de lumière. Et si ce n'est assez de voir, demandez aux Petites Sœurs de saint Thomas, qui ne croient que ce qu'elles touchent, elles vous le confirmeront.

     Pour assumer un tel niveau d'investissement personnel, ce vénusien nécessite beaucoup de sommeil. Auprès de lui, le Dormeur du Val est un insomniaque. Si vous voulez que votre Taureau passe une très bonne nuit, endormez-le en musique et en caresses. Réveillez-le de même, afin qu’il passe une bonne journée.
     Entre-temps il aura navigué dans les espaces lointains où les avions de la nuit s’envolent et atterrissent avec un contentement sonore. Autant l’avouer : il ronfle.
     A l’écouter dormir, il vous apparaîtra que, de temps à autre, son souffle se fait plus court, plus retenu, comme haletant. Il franchit une zone de turbulence érotique. Sachez le sans en prendre ombrage. Faites-lui le crédit de penser que vous êtes la passagère privilégiée de ces instants.
     Adolescent, il imprimait alors sur les draps la géographie des lieux traversés. Maintenant, il continue de traverser mais, comme dirait Muriel Robin, il n’imprime plus. Il vous réserve, au réveil, la primeur de ses impressions.

     L’été, lorsque les nuits se font trop courtes et le soleil trop pesant, son rythme biologique se modifie. Le Taureau a besoin d’une sieste. Cette méridienne aura sur lui des effets surprenants quel que soit le méridien. Mais principalement au-dessous de certains parallèles : ceux de la Loire et de la ceinture. Car si elle dédouble ses journées, la sieste décuple ses appétits.
     Envie de séduire l'ogre ? Glissez-vous sous votre couette et demandez à une amie très sûre de cacher votre lit dans un paquet-cadeau. Le Taureau adore qu'on le gâte. Lorsqu'il ouvrira le paquet, attirez-le pour lui dispenser quelque nouvelle gâterie.

     Reste le cas du Taureau qui paraît inflexible, alors qu'il n'est peut-être qu'un peu trop long à la détente. Ce n'est pas l'envie qui lui en manque mais il a, comme on dit, d'autres chats à fouetter : une famille à ses basques, un boulot à défendre ou simplement la peur du qu'en-dira-t-on. Bref, de quoi en faire le grand prêtre d'une louable vertu : votre patience. Vous avez beau jouer de la pupille ou de la paupière, de l'ange ou du démon, tous vos efforts demeurent désespérément du même tonneau que les Danaïdes. Rien d'autre à faire que de transformer votre abstinence en obstination.
     Il finira bien par craquer.