Ai-je le droit de vous appeler ainsi, vous que j’ai rencontré une seule fois, au détour d’un couloir du château que nous visitions ce jour-là ?
Rappelez-vous, c’était la journée du patrimoine, je m’en souviens d’autant mieux que le matin même j’avais décidé de ne pas bouger de chez moi, trop de fatigue, trop de pluie, trop de tout et pas assez de ce petit quelque chose qui vous met des ailes aux pieds.
Et finalement je ne sais pourquoi, je me suis retrouvée à vos côtés, nos deux visages tendus vers le même tableau qui nous avait arrêté.
Souvenez-vous, nous avons traversé la passerelle qui menait à l’autre aile (des travaux de restauration étaient en cours), vous m’avez fait remarquer que le guide aurait dû distribuer des boussoles à l’entrée car nous risquions de nous perdre dans ce dédale de pièces et de couloirs. J’avais ri. Un peu trop fort.
Cette plaisanterie somme toute fort banale avait suffit à établir entre nous une connivence discrète et quand le guide avait invité les visiteurs à s’attabler pour déguster les produits de la ferme du château, s’est tout naturellement que nous nous étions retrouvés côte à côte.
Vous trouvez sans doute ce luxe de détails superflu, mais comprenez-moi, il faut absolument que vous me reconnaissiez. Ce n’est pas par manque de tact que je sollicite votre mémoire c’est seulement que je souhaite que vous compreniez ma requête.
Je sais, je suis ridicule n’est-ce pas ? On dirait que je tente d’apprivoiser un animal, mais…je n’ose pas formuler ma demande…elle me paraît sotte et déplacée tout à coup…
Allez-vous mettre un visage derrière ces mots ? Je vous donne les derniers indices, nous étions dans le jardin, un arbre superbe dominait un carré de fleurs, vous l’avez appelé l’arbre à palabres et vous m’avez raconté une histoire jubilatoire que vous aviez rapportée d’un séjour en Afrique pendant que notre pauvre guide s’évertuait à nous faire un cours sur les rhizomes. Alors voilà, je pense que vous m’avez reconnue.
Oui c’est moi, moi qui t’invite à déjeuner demain.
Avec moi, oui… toi.