Peu de chances de me rendormir désormais. Le muezzin dès 5 heures du matin, difficile. Si on m’avait dit, moi qui aime tant les cloches des églises, que j’en viendrais à haïr à ce point les haut-parleurs qui beuglent dans la nuit ! Bien inavouable, cette envie de trucider le muezzin. On va me traiter de raciste, d’intolérant. Je préfère n’en rien dire à personne, je ferai semblant au petit déjeuner d’être seulement un peu fatigué ; j’ai souvent des périodes d’insomnie. Et si encore, il n’avait beuglé qu’une fois, passe. Mais remettre ça tous les quarts d’heure… J’en profite pour prendre le temps d’écrire. Pas toujours facile quand on voyage de s’attabler avec son stylo. Tout de suite, des touristes passent, que faites-vous, ah vous écrivez ? Quant aux locaux, eux, ils ne perdent pas la boussole, avez-vous besoin de quelque chose, j’ai des carnets, des stylos, regardez comme ils sont jolis ! Leur visage s’illumine d’un grand sourire, comme s’ils voulaient à chaque fois t’apprivoiser, toi seul, comme leur ami privilégié qu’ils n’oublieront jamais… Tiens, le jour se lève. Bientôt, l’auberge va commencer à s’agiter, la vie va reprendre. Mais comment font-ils donc pour dormir avec ce boucan ? Ou alors peut-être n’ont-ils pas dormi non plus…

Saint-Louis – 20 décembre 20.., 18h.
Quelle journée ! Jamais je n’aurais imaginé aussi rapidement me mettre à apprendre le wolof ! Il faut dire qu’il en faut du tact pour ne pas perdre la boussole dans cette famille africaine tentaculaire, de vrais rhizomes, entre les frères, cousins, de mêmes pères, de différentes mères, oncles sans liens de sang, grands pères spirituels. C’est vraiment jubilatoire de les voir tous se congratuler, se demander des nouvelles, et la famille, comment ça va ? et la grand-mère, ça va bien ? Un vrai arbre à palabres ! Ce repas, pour un baptême en wolof, c’était vraiment réussi. Deux heures à attendre dans les congratulations, et encore nous avons eu de la chance, le tonton a fait accélérer. Mais ça valait le coup, le thie’bout’dien assis en cercle sur la natte autour du plat c’était bon, mais bon… et après le thé à la menthe, préparé par un cousin peut-être. La fille qui n’a pas voulu me serrer la main parce qu’elle a choisi de porter le voile, les commodités sans eau parce que le tuyau est descellé, j’imagine la tête de la bru allemande lors de sa première visite que le fils, prof d’université, n’a pas l’air d’annoncer de si tôt ! Souvenirs, souvenirs… Après cette plongée dans une cour parmi tant d’autres du quartier populaire, notre traversée du Pont Faidherbe pour regagner l’ile nous a fait redécouvrir cette passerelle à la fois forte et fragile, une merveille à la tombée du jour !

Saint-Louis – 20 décembre 20.., 23h30.
J’avais pourtant décidé de me coucher tôt ce soir. Mais impossible à nouveau de fermer l’œil. Je ne sais pas quand ils se couchent dans ce pays, ni s’il leur arrive de dormir. Ou alors, ils sont blindés contre le bruit. Ce soir c’est encore un autre poème. Après les gazelles qui mettent la musique à fond dans la rue pour offrir une fête à leurs copines et attirer les garçons, il faut dire qu’elles valent le coup d’œil les gazelles, toutes plus belles les unes que les autres, avec de ces boubous, de toutes les couleurs ; j’avoue que je me serais bien laissé faire. Mais pas touche. Maintenant, c’est parti pour la nuit, avec les haut-parleurs, les chants religieux, Allah a-t-il vraiment besoin de tout ça ? Et encore, ils pourraient mettre leur bazar dans un terrain vague, mais bien sûr que non ! dans la rue, juste en dessous des maisons, c’est plus drôle. Allah n’est pas obligé !