vous est bien destinée. Je ne m’étendrai pas plus avant en palabres, avant de vous dire que je veux vous rencontrer. Je sais que cela vous est difficile pour l’instant, rassurez vous, pour moi aussi le moment est mal choisi. Vous êtes à la Santé, je suis à l’hôpital, convenons que le premier de nous deux qui sort ira visiter l’autre.
Pourquoi moi direz vous ?
Parce que, monsieur, vous détenez un bien qui m’est vital.
Inutile de le nier, je suis la dame que vous avez cambriolée il y a de cela quinze jours. Vous et moi jusqu’ici avons joué de malchance.
Je ne sais quel coup du sort vous a précipité chez moi, car je possède peu de choses. Le commissaire m’a dit que vous étiez aux abois, un créancier tenace d’un mauvais coup précédent. Cela ne nous dit pas quel rhizome du destin vous a fait fracasser ma porte. Vous visiez peut être l’appartement des Merier, qui mènent c’est vrai, un train de vie jubilatoire, il faut dire que Mr Merier est banquier et sa femme d’une très bonne famille. Mais moi, je ne suis rien, la seule chose que je sois, c’est aveugle ou quasi. C’est pourquoi, bien que vous l’ignoriez, j’étais ce soir-là dans mon appartement quand vous y êtes entré. Vous ne m’avez pas vue, car j’étais dans le noir, dans la pièce d’à coté, mais moi je vous ai perçu, senti, j’ai guetté vos mouvements. Je vous ai entendu vous attabler d’abord, quel cambrioleur prend le temps de s’asseoir, je vous le demande. Vous avez quand même mis à profit cette pause pour visiter les tiroirs sous la table, bien décevant, une boussole sans verre, un canif, un stylo et des timbres, la lettre de mon père.
Je ne savais que faire, moi dans la chambre et vous dans mon salon, assis tout tranquillement. Entrer et vous surprendre aurait manqué de tact, en même temps ne rien faire, c’était risquer que vous exploriez le reste de l’appartement. Imaginez moi assise sur mon lit, les mains sur les genoux, à attendre que vous bougiez, mettiez à sac l’appartement, fouillez pour un butin. Au lieu de cela, rien, je vous sens tout tassé sur ma chaise, le tiroir au contenu désolant ouvert sur vos genoux et puis je vous entends, les 2 coudes sur la table, la tête dans les mains, vous mettre à pleurer. Statu quo. Vous pleurez, je ne bouge pas, combien de temps ça dure, je ne sais pas.
Je suis restée très calme, parce que dans ma vie, j’en ai vu d’autres enfin, vu, vous me comprenez. Et donc, un cambrioleur qui pleure, ma foi, ça ne doit pas être un tueur.
Mais convenez quand même que c’est une situation fort inconfortable. Au bout de, je dirai, dix minutes, un quart d’heure, j’ai pris mon téléphone portable et j’ai appelé chez moi, la ligne du salon. Ca vous a fait un choc, cette sonnerie dans l’appartement noir dans lequel vous pleuriez.
Vous vous êtes levé, vous avez bousculé la chaise, et puis vous êtes parti.
En refermant tout doucement la porte, quelle drôle d’idée, vous l’aviez quasi déchaussée en entrant.
Je suis sortie de la chambre, j’ai été à la table et là j’ai compris de mes mains pourquoi vous étiez assis à pleurer. Vous m’aviez pris la lettre, la lettre de mon père, celle qui commence par « toi ma pauvre enfant que je n’ai pas voulue » On peut même parier que vous l’avez lue, et que ça vous a fait de la peine, au point de vous arrêter dans votre projet de vol. Moi je n’ai jamais dépassé la première ligne, personne ne veut jamais me la lire. Je crois qu’il s’y excuse des coups qu’il m’a porté, en même temps, il ne sait pas, le malheureux, qu’à cause de ces coups, je ne la lirai jamais.
La suite vous la connaissez. Je vous ai poursuivi dans les escaliers tant bien que mal, vous ignoriez forcément que les pas derrière vous ne voyaient pas les marches. Je vous ai couru après sur la passerelle, je ne savais plus où vous étiez parti, j’ai débouché sur la rue, votre voiture m’a renversée. Depuis, je suis à l’hôpital, vous êtes à la Santé.
Je ne raconte pas cela pour vous donner tort, ni vous apprivoiser. Je voudrais juste que vous me rendiez la lettre, parce qu’un jour peut être, j’en saurai la teneur.
Peut être même, vous qui n’avez pas de lien avec moi, qui ne me connaissez pas, accepterez vous lors de notre rencontre de me lire son contenu.

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