mais moi je te vois. Tu es tellement soucieux de ton image qu’il ne reste que ça de toi.
    J’ai gagné ta confiance. Tu as vite compris ce que cet être insignifiant dans ta pyramide hiérarchique pouvait t’apporter. Tu es intelligent, rapidement et froidement.
    Je suis incroyablement bonne à ce truc, c’en est honteux. Je t’aide à amener les autres là où tu veux les mener. Tu les manipules, et je t’aide à le faire. Mais quelque part, c’est moi qui manipule au sens propre du terme. Regardes, petit à petit, je t’ajoute de la jovialité. Quelques blagues, des sourires. Tu vas presque leur devenir sympathique.
    Au début, quand je t’apportais mes mots, j’avais peur de ton rejet, de tes « non, recommences ». Tu n’y croyais pas. Un jour, je suis sortie du rôle, en refusant tes corrections. « tu ne peux pas dire ça, pas à ce moment là, pas comme ça. » Toi qui ne pratiques le tutoiement avec tes subordonnés que pour l’image, presque avec dégoût, j’ai vu ton sursaut intérieur.
    - Non, tu ne peux pas passer dès ce stade à la petite phrase d’émotion. Ca fait faux. Tu es dans l’abstrait, les chiffres et brusquement tu leur dis de te faire confiance. Ca ne marche pas.
    Je te prends le papier et je te la joue. Je te dis, « tu vois, ici tu dois faire une pause, tu les regardes, tu leur souris. Dans les yeux. Tu ajoutes de la chaleur, de la proximité. Et ensuite seulement, tu reprends la parole »
    Depuis, non seulement tu me laisses écrire tous les mots de ta bouche, mais en plus je te fais répéter. Tes regards, tes gestes, tes intonations. C’est tellement étonnant que toute cette intelligence se laisse guider par moi pour pouvoir parler aux autres d’une façon qui les touche. Nous voici dans un rapport complètement différent. Alors que tu ne daignes dire « merci » à tes équipes que parce que je te l’ai écrit en conclusion, d’une façon qui leur fait chaud au cœur et me fait froid dans le dos, à moi, tu me dis « s’il te plait ». Hier, je t’ai dis de ne pas mettre de cravate. Je t’ai fait freiner sur le bronzage, certes sublimatoire de tes dents blanches, mais qui te conférait trop de superficialité. Plus tu me fais confiance, te repose sur moi, et plus les autres t’aiment. Tu es de plus en plus beau, d’après eux. Je nous méprise de plus en plus.