Les Verseaux, il est toujours bon de leur parler au futur. Le futur est leur temps, pour ne pas dire leur lieu. Et puis, Aragon l'a écrit, Ferrat l'a chanté : la femme est l'avenir de l'homme. Prophétie qui vous concerne plus que toute autre, vous qui mettez les droits de l'Homme au féminin.
Vous portez en vous tant d'idées neuves, tant de promesses, vous êtes belles d'une si belle attente qu’il en est presque intimidant de s'adresser à vous.
Comme à tous les êtres en devenir, on vous doit d'infinies précautions. Le poids des mots est soudain devenu un danger. Il importe avant tout de ne pas peser. Votre entourage le sait-il ? Parents, époux, amants, savent-ils qu'il ne faut pas peser sur vous, pas même sur l'air que vous respirez ?

Elle sera notre exemple. Elle est encore à l'âge tendre. On la veut blonde, pour bien marquer l’évanescence. Blonde à peau d'ange, on les nimbe toujours d'angélisme, les Verseaux: être ange, voilà leur étrangeté. Ange à cause des ailes, aussi. Car il faut bien leur prêter des ailes à ces signes d’air. Celle-ci en rêve. Elle se languit dans son paradis familial. Trop calfeutré. Trop lourd d'une affection souvent inquisitrice. Étendue sur son lit, elle passe de longues heures à regarder passer les nuages, les oiseaux, les avions... Le ciel a le champ libre de l'autre côté de la fenêtre. De la "croisée", comme disent encore ses grands-parents qui vivent au rez-de-chaussée.
Un peu moins vieux jeu, ses parents. Mais guère moins. Elle ne leur parlera pas de ses projets. Une Verseau a toujours des projets, mais elle est rarement comprise. Alors autant se taire.

Les nuages n'emportent que du nuage, mais à bord des avions, dans le cockpit, elle imagine trop bien les uniformes galonnés jusqu'à la casquette. Elle ne les a jamais vus aux commandes mais elle les croise dans le hall de l'aérogare à chaque voyage de l'oncle californien : ce proche qui eut l'audace de se faire lointain pour aller vivre dans un monde neuf.
C'est donc décidé, elle aussi volera : elle sera hôtesse de l'air. D'ailleurs, ses planètes sont favorables. On le lui a dit. Verseau oblige. Bon ciel ne saurait mentir...

Les années ont passé, tout comme les nuages qu'elle a enfin survolés. Belles traversées. Aventures dans un ciel de femme libre. Rencontres avec des hommes qui l'étaient aussi. Finalement, elle a épousé un rampant. Non, le mot est méchant, c'est un mari merveilleux, comme on dit. Et puis, il y a Nadia, leur fille.
Mais tout ça n'empêche pas de rêver, encore et toujours. De regarder très haut à travers la vitre, car le roman d'une vie est souvent comme l'Histoire, il se répète un peu... Plus hôtesse mais encore l'air. Elle plaît : le regard des hommes n'a jamais cessé de le lui dire. L'idée d'une nouvelle idylle serait prête à lui redonner des ailes. Faut-il qu'elle se résigne à les replier ? Ça lui ressemble si peu !

Mais le plus important est encore à venir. Nadia !
Nadia est Verseau, elle aussi. Tant sa mère a milité qu’elle peut s’autoriser de plus hautes ambitions. Un jour, elle sera commandant de bord.

Femmes Verseaux qui nous lirez, sans doute aurez vous un destin différent. La vie a toujours plus d'imagination que nous. Mais les natives de votre signe s'abreuvent toutes à la même amphore, sans jamais étancher leur soif.
Filles d'anges promues archanges par une divinité féministe qui bénirait enfin la rébellion, vous voici aux marches d'une ère nouvelle que vous aurez portée pendant des siècles avant de lui donner le jour, avant que l'amphore de votre soif ne se retourne. Car le Verseau, c'est l'eau en liberté dans l'air. C'est Prévert dessinant l'oiseau. Il ne vous reste plus qu'à ouvrir la cage.

Et les hommes dans tout ça ? Eux qui se prenaient si bien pour Dieu et maintenant chancellent rien qu’à vous approcher, quelle chance leur reste-il face à vous qui avez déjà placé la barre un peu trop haut pour eux ? Voyez-les, fascinés par cette petite poitrine que votre angélisme vous accorde. Voyez comme ils épient le tutoiement du sein et de l’étoffe. Car vous n’avez que faire de ces enclave-seins mal tempérés, ces attirails que l’on nomme soutiens-gorge ! Vous n’aimez ni les ringards ni les ringardises, vous les aurez jetés par-dessus les moulins.









Que le vent les emporte et vous laisse à votre libération, femmes Verseaux qui nous lirez !