Signe d'hiver. Mais le froid n'est pas son cousin. On vous tiendra des discours sur les rigueurs de son climat, sachez pourtant que son intimité ignore tout des normales saisonnières. Sa météo astrale peut vous faire des printemps avec trois mois d'avance.
On parle encore, à son propos, d’un feu sous la glace. Pas mal vu. On s'approche : on brûle... Mais cherchez un peu la glace. Vous ne la trouverez guère que dans la transparence du regard, dans des silences un peu frisquets, dans des propos parfois cinglants, ou bien en cube dans la boisson forte qu'elle vous aura préparée pour vous enhardir. Partout ailleurs – avec un ciel qui joue à chauffe-soleil – partout ailleurs la glace aura fondu.
Ainsi en est-il de la Capricorne. Iriez-vous l’aimer sur la banquise, croyant bien faire, que vous risqueriez d’en accélérer la fonte.. C'est pourquoi elle impressionne. Les boutonneux la craignent autant qu'ils la désirent. Les jeunes poètes lui écrivent incognito des messages sur le givre de sa vitre. Les matamores mettent le feu aux poudres avant de prendre l'escampette.
C'est qu'il faut la conquérir, cette Capricorne. Elle ne tient pas lit ouvert avenue du premier venu. Elle se mérite. Elle est récompense pour qui pense l'amour avec altitude et garantit de le faire avec intensité. Il lui faut des amants coureurs de fond qui, dans cet exercice rapproché, tiennent la distance. Bien savoir que la demoiselle peut enchaîner les pâmoisons avec autant de conviction que le rossignol enchaîne les trilles.

Son apparentement à la chèvre sauvage a pu inspirer certains auteurs. Ils l’ont imaginée dans le rôle de l’appât pour chasser le gros prédateur sexuel. Un genre de safari qui peut réserver quelques surprises, comme nous allons le voir.

Pour faire image et ne désobliger personne, nous admettrons que le vilain glouton qui la convoite est du signe du Loup.
Voyageur multicarte, omnivore mais doué d’un penchant sélectif pour les biquettes esseulées, ce loup serait familier des petits hôtels de province. Convenons que, ce soir là, il était descendu à hôtel Terminus, déjà connu de nos lecteurs pour y avoir croisé un agent commercial en matériel médical (cf. Le faire-part, de Pierre Danger)
C’est à cette occasion que notre Isangrin croit reconnaître, en sa voisine de chambre, la fugueuse de Monsieur Seguin!
En semblables circonstances, il s’était déjà fait – ou avait tenté de se faire – quelques beautés frisées comme des moutons (Cf. Madame Bélier) ou autres bergères de rencontre.
Cette fois encore, il se pourlèche les babines :
« Me voilà pratiquement dans la bergerie, se dit-il. Dans le pire des cas je me la croque au petit matin. »
Le défi lui parait aussi facile à relever que la belle à étendre. Les chambres sont voisines. Une porte de communication, aujourd’hui condamnée, montre qu’elles avaient dû former une même suite avant que le ciel hôtelier ne voit pâlir ses étoiles.
La dent du Grand Méchant redouble de fantasme :
« Que je trouve un Sésame pour franchir cette huisserie et je te subtilise le scénario du père Daudet » :
" Elle s'est refusée toute la nuit la brave petite chèvre, puis au matin elle a cédé... "
Ou quelque-chose comme ça.. Il dit et plonge sa main velue dans une vieille musette. Il en retire un trousseau de passe-partout et le fait tinter à sa grande oreille en ricanant :
"Trousseau, trousseau, livre moi la mutine
Et je te la trousse avant les matines."
Puis se baissant à croupetons, il se met en devoir de jouer à crochetons. Petit grincement doux suivi d’un claquement sec, le mécanisme a cédé, l’affaire lui parait dans le sac.
D’un geste silencieux aux intentions lubriques,
il tournera bientôt la poignée fatidique !

Peine perdue. De l’autre côté, deux solides verrous font barrage.
Le voilà qui implore :
"Biquette, biquette, je suis ton ami,
tourne les molettes
et tu goûteras de la mimolette
et du salami"
Une formule magique qu'il se souvenait avoir lue dans le Grand Albert des loups.
Silence, on ne tourne pas…
Elle est pourtant là et en quelle tenue, je ne vous dis pas ! Par le trou de la serrure, il a glissé un œil puis un petit mot qui se veut coquin et engageant. Mais elle a répondu en lui montrant les dents. Il n’y a pas plus cabocharde qu’une fille du Capricorne!

Le jeu se poursuivra, et le jeûne également.
Au petit matin, c’est le loup qui est devenu chèvre. Quant à notre chevrette – sonnez les matines – jamais blanchette ni noiraude ne fut plus triomphante.

À l'heure du petit déjeuner — bien petit pour une si grande faim —, le jour les retrouve dans la salle commune, chacun devant un café fumant. Le floué de la nuit peut bien cacher sa honte sous la table, l’ironie des croissants parait contrefaire l'exigence retombée de ses ardeurs déçues.
Pleurez, pleurez dans les tanières,
pleurez les illusions perdues,
la faim de loup n'aura mordu
que la poussière...
La morale de cette petite fable est toute simple. Avec la Capricorne, c’est quand elle veut, comme elle veut.
Pas de cinéma. Si elle vous fait l’amour, c’est l’amour vérité. L’amour en V.O.. Pas de triche, pas de sous-titrage. C’est son vrai plaisir qu'elle arbore et sonorise. Elle a le choix sans l'embarras. Si ça lui a plu, elle y retourne. Si elle s’en détourne, c’est du jamais plus.

Saturne, le dieu de sa planète, peut bien aller son pas de sénateur et sa réputation d’ancêtre, il peut bien réprimer le hasard dans les jeux de l’amour, la Capricorne est jeune, la Capricorne est joueuse, elle entend le rester.
Un seul secret, une seule jouvence : la liberté. Nulle chaîne. Les amarres de ses amours ne pèsent pas plus que bouchons de liège. En dehors des limites qu’elle s’impose de plein gré, elle sera toujours la plus prompte à larguer ce qui la bride et à brader ce qui la nargue.
C’est une fille des hauteurs. On ne prend pas les sommets au lasso.