Mais sa quête n'est pas celle du Saint Graal. Monsieur Sagittaire a d'autres dragons à fouetter que de courir après les mythes. S'il poursuit une toison d'or, c'est qu'elle encadre un beau regard, large comme l'horizon. C'est qu'elle coule sur une taille de petite ceinture – de celles qui troublaient Achille chez les jeunes Troyennes. C'est qu'il espère la voir bondir sur les reins, flotter jusqu'aux longues jambes de faon – de celles qui troublaient Aragon chez les belles étrangères.

Monsieur Sagittaire lui aussi aime les femmes venues d’ailleurs, et si elles ne viennent pas assez vite à son gré, ce Lagardère n’hésite pas à faire le déplacement.
Son idéal sera lointain mais à portée d’expédition. Il peuple de beautés l’au-delà des mers. De merveilles cachées, l'au-delà des monts.
En attendant de les atteindre, il s'intéresse de très près à des merveilles et à des beautés plus proches, à portée de flèches. Il y engage toute la fougue de son Signe de feu. D'autant que Pluton, le trublion, demeuré dans son signe de 1995 à fin 2008, aura eu le temps d’aiguiser tous les tranchants de sa vie.

De même qu'on ne peut compter de mémoire les colonnes du Panthéon – c'est bien connu – de même Monsieur Sagittaire ne peut-il dénombrer ses conquêtes féminines. Son chiffrage ne fournira qu'une vague estimation des succès qu'il accumule.
Et plus sa carrière amoureuse progresse, plus ses aveux se font modestes : Avec le temps, il attache moins d'importance aux passagères de ses nuits. La plupart passent aux oubliettes avec la même facilité qu’on pouvait défenestrer du haut de la Tour de Nesle.
En bout de course, la franchise l'emportant sur la précision, il confessera seulement qu'il y en a eu beaucoup. Les colonnes du Panthéon n'ont qu'à bien se tenir, leur nombre sera toujours très loin de ses records.

Soit dit en passant, les élues du Sagittaire ne méritent pas toutes le Panthéon. Il faudrait faire la part de celles qui l'ont plaqué, non pour son manque de compétence mais après découverte d’un trop lourd palmarès. Et aussi de celles qu'il a dû cacher pour protéger leur honneur car elles n'étaient pas libres.
Il reste que les autres mignonnes constituent un tableau que nombre de Casanova lui envieraient.

À l'encontre du Gémeaux, son vis-à-vis, le Sagittaire ne fait pas flèche de tout bois. Il ne glisse dans son carquois que du haut de gamme. Du trait d'archet de haute essence, n’autorisant que de nobles visées.

Si vous aimez les hommes à femmes, et si vous n'êtes pas trop à cheval sur les principes, cet homme-cheval est en principe votre homme. Vous aussi, soyez sélective. Pour bien choisir un Sagittaire, c'est comme pour les melons, il y aurait des trucs. Presque les mêmes, parait-il. Le plus sûr demeure encore de goûter. Préalable auquel il se prête volontiers.
Assurée de votre choix, laissez-le vous prendre en croupe et accrochez-vous à sa taille. S'il a déjà un peu de ventre, sa coquetterie l'escamotera.

Bien entendu, tous les Sagittaires n'ont pas la séduction aussi féroce ni le sanctuaire aussi achalandé. Il en est pour qui le Panthéon n'a guère plus de colonnes qu'un kiosque à musique de sous-préfecture. Ceux-là se reconvertiront très tôt dans la fidélité conjugale. Ils se disposent à occuper, de façon précoce, des postes exigeants au plan de l'honorabilité. Vous trouvez une forte proportion de Sagittaires sous les chapeaux de notables, les vestons à rosette et les appellations de président.
Encore que certaines présidences favorisent la résurgence du succès amoureux. On peut le constater dans les associations sportives (le sportif plaît aux femmes), les confréries de bons vivants (les femmes plaisent aux bons vivants) et autres amicales, viriles ou gourmandes, qui font volontiers cadeau d'un hochet à quelques doyens encore verts.

On s’étonnera qu’après une jeunesse intrépide, affranchie, parfois désinvolte jusqu’à l’insolence, Monsieur Sagittaire se rallie si volontiers aux vaniteuses conventions de l’establishment. Mais le ciel le veut ainsi : tandis que le Taureau s’embourgeoise dans le goût de la propriété, le Sagittaire choisira celui de la distinction sociale. Il passe, avec une rare aisance, du pince-fesse au baise-main.

Son image dominante est généreuse, chevaleresque, très marquée par une puissante symbolique d'homme-étalon. Le genre de héros qui s'illustre volontiers dans la défense de la veuve et de l'orphelin avec une petite préférence pour la jeune veuve.
Gouverné par le grand Jupiter, son Signe de feu le place à mi-chemin entre l'ambition et le désintéressement. Entre le golden-boy et le boy-scout... Le Sagittaire, c’est la B.A. dorée sur tranche. Il colmate les brèches de coeur, il répare les peaux cassées.
Inventez-vous un chagrin d’amour et il n'aura de cesse avant de vous avoir consolée. Répondant à l'appel instinctif du voyage, il vous entraînera vers le renouveau d’une existence de préférence lointaine, hors d’un hexagone bien trop exigu pour ses perspectives.

Il est né avec des visas collés sur son berceau et traversera la vie en dévoreur d'espace. Un indice révélateur : cette façon qu'il a de ne vous laisser que le bord du lit ! Ne lui en veuillez pas, il a le défaut de son envergure. Même s'il n'a plus de problème pour prendre son envol, il a dû être albatros dans une autre vie.

Au cas ou vous auriez une petite réflexion à lui faire, prenez un luxe de précautions, ce grand coeur est très soupe au lait, celle qui monte, qui monte et qui déborde avant qu'on ait eu le temps de retirer la casserole. Il est comme ça, moitié Tartarin, moitié Don Quichotte : il démesure tout. D'un monticule il vous fait une montagne et d'un ruisseau il vous fait un fleuve.

On raconte qu’un Sagittaire, d'une certaine notoriéré par son appartenance à une noble académie, s’était pris de dispute avec l’un de ses pairs quant à la meilleure définition d’un mot. Ils en eurent quelques autres parmi les moins choisis. Le turbulent contradicteur, sans doute à bout d’argument, finit par lui lancer :
– Monsieur le Sagittaire, votre planète sent le pipi!
L’insulte était publique. Par-delà une digne naissance, elle visait le grand Jupiter, la planète qui se prend pour Zeus.
En d’autres temps, notre homme eût réclamé un duel et envoyé ses témoins. Mais à notre époque, moins héroïque et plus procédurière, il ne lui restait guère que l’assignation.
– Nous assignerons ! Monsieur, s'exaltait déjà son avocat en allant chercher sa voix dans le bronze et en se préparant aux effets de manche.
Puis, baissant d’un ton :
– Seulement, je dois vous prévenir, Monsieur : nous perdrons.
– Et pourquoi donc, Maître ?
– Mais parce que notre planète sent vraiment le pipi, Monsieur !

Que ça plaise ou non, c’est là une donnée de l’astrophysique : l’auguste Jupiter est une masse gazeuse à haute teneur en ammoniaque. Et si sa fragrance veut se prévaloir d’une caution impériale, celle de Vespasien devra lui suffire.
Il parait que l’affaire a fini par s’arranger à l’amiable. Les proches du Sagittaire le savent bien : sa dignité se froisse comme de l’organdi, mais elle est sans rancune et le char magnanime de Jupiter ne connaît d’autre piste que celle paisible du Zodiaque.