je voudrais signaler le remarquable roman de Paul Auster, la Nuit de l'oracle, où le héros narrateur est un romancier qui nous raconte le roman qu’il est en train d’écrire et les circonstances dans lesquelles l’idée de ce roman lui est venue. Cela donne une narration extrêmement dépouillée puisque ce n’est pas le roman lui-même que nous lisons mais une sorte de scénario, de récit au second degré, qui fonctionne cependant si bien que nous sommes passionnés par l’histoire jusqu’au moment, le plus palpitant évidemment, où le narrateur décidant d’abandonner son roman nous embarque dans une autre histoire, la sienne, telle qu’elle est en train de se dérouler, celle-ci générant à son tour, par ramifications, des personnages secondaires, dont l’histoire nous est également racontée dans des notes qui font elles-mêmes parfois plusieurs pages, ce qui nous amène à une lecture assez curieuse en allés-retours, jusqu’à ce que le narrateur reprenne l’histoire abandonnée en évoquant les différentes façons dont il pourrait la continuer mais préférant finalement s’engager dans un scénario de film qui lui a été commandé par son agent littéraire avant de revenir à sa propre histoire, ou plutôt celle de sa femme, etc. Cette construction complexe dans laquelle cependant on ne se perd jamais, ces passages constants d’un niveau narratif à un autre, nous amène à nous poser le problème complexe du rapport entre réalité et fiction, de cette fonction de fascination du récit qui nous « embarque » sans cesse pour mieux nous désillusionner ensuite et nous fait prendre des vessies pour des lanternes, éternel recommencement des Mille et une Nuits où raconter c’est vivre ou plutôt survivre à une mort qui conclura inévitablement la fin du récit, la fin de tout récit.