Pas n’importe quelle histoire, sortie de nulle part. Non, une histoire de Mimi. Ils me disent : t’as pas une nouvelle histoire de Mimi ? Il ne s’est rien passé?

Les histoires de Mimi sont des histoires vraies, des choses qui m’arrivent, suffisamment surprenantes pour en faire un récit. Les autres me demandent pourquoi ces histoires m’arrivent, pourquoi toujours à moi. Au départ je m’interrogeais sur la réalité de ces aventures. Etait ce ma vision du monde, ma capacité à dire qui transformait le bénin en pain béni de récit ? ou mon esprit était-il suffisamment tordu pour lire dans le quotidien des choses qui n’y étaient pas ?
Mais j’ai compris depuis, et je sais que je vis des bousculettes que d’autres ne vivent pas. Il ne s’agit pas la plupart du temps d’aventures misérables ou merveilleuses, juste des bousculettes. Des micro événements auxquels on ne s’attend pas, dont il faut se sortir ou juste profiter. Moi, j’ai besoin d’en profiter, de m’y exposer pour les dire plus tard.
Un des problèmes source de bousculettes, c’est que j’adore les gens : Les écouter, les suivre parfois, pour découvrir leur monde. Et puis, j’aime comprendre ce qui fait qu’ils sont eux. Parce que derrière chacun, il y a une histoire, qui explique, qui se poursuit, qui est intéressante. En prenant le temps d’entrer en chaque personne, on trouve forcément derrière la plus morne existence, si quelque vie mérite cette définition, un petit morceau d’histoire, quelque chose qui brille ou qui sent bien mauvais, quelque chose qui se raconte. Je ne sais pas finalement si j’aime les gens ou si j’aime leurs histoires. Ce petit quelque chose qui nourrira les miennes.
On pourrait me voir en prédateur des histoires et des sentiments des autres, faute de pouvoir vivre et ressentir les miens ? mais il s’agit plutot d’être en perméabilité, comme une éponge qui absorbe ce qu’elle touche, pour le déverser ensuite dans l’évier de ses écrits. L’éponge n’en ressort pas intacte, elle garde au fond de ses alvéoles la trace inapparente du dernier liquide qu l’a gonflée. Au bout d’un temps plus ou moins variable, il faudra la jeter. (Voila qui est inquiétant. Je vais reréflechir à cette histoire d’éponge.)
Ma perméabilité varie. Ainsi donc je suis aussi devenue pour mes amis « Miss Catastrophe ».
A force de se comporter en éponge, il m’arrive de ramasser des choses que nous préférons usuellement ne pas voir, ne pas toucher. Pourtant en en ressortant, comme propre, j’ai trouvé là de quoi nourrir mes histoires de Mimi. Comme dans un cercle vicieux, je me mets d’abord en perméabilité, en absorption des autres, en ouverture d’alvéoles. Des bousculettes surgissent, qui font rire mes amis lors de nos dîners et font de délicieux petits textes. Du léger, du drôle, du quotidien vitaminé. Puis une bousculette dévie, vire au liquide aigre, tourne en catastrophe. On ne la voit pas venir, elle a l’air d’une petite aspérité du quotidien comme celles que je recherche. Mais non, il s’agit de quelque chose de plus profond. Et pourtant je vais voir. Parce qu’il y aura matière à : à vivre, à raconter, à écrire. Ce goût-là ; c’est ce qui me distingue des autres, c’est ce qui fait que c’est moi qui raconte les histoires. Mais c’est celui qui me perd, me torture, m’aura un jour.
Une fois encore, il faut me sauver, me sortir de là. D’ailleurs, je n’arrive même pas à en parler ou en rire, les mots se sont perdus. Mes amis savent que si je n’ai rien à raconter, c’est que ce que j’attaque est trop gros pour moi, pour que je l’éponge toute seule. Ils partent donc à ma rescousse. Gendarmée et apeurée, je referme ma coquille, m’enferme à l’intérieur. Desséchée comme ces éponges oubliées sous l’évier, je n’écris plus. Tant que la dernière expérience trop forte est encore proche, il m’est impossible de la digérer pour la décrire. Sortie trop tôt, elle a encore l’odeur du brut, l’amer de l’absence de recul.
Et puis, environ deux mois plus tard, la voila. Elle surgit de moi, sous forme de mots polis dans ma tête, comme des galets de phrases assez tournées et retournées. La bousculette trop forte m’a nourrie, elle a essayé de me dévorer, mais c’est moi qui ai vaincu. Finalement, c’est moi qui l’ait ingérée, puis distancée et elle a fait de moi un vase de mots plus large.
Une émotion jamais ressentie, je peux désormais la comprendre. Un abyme trop éloigné, je l’ai vu, je peux le décrire. Cette folie, non seulement je vous ai regardé la vivre, elle m’a touché, mais aussi maintenant je l’ai saisie de l’intérieur. Je peux pardonner énormément car les bousculettes m’ont donné une compréhension de l’humain qui va jusqu’à la douleur. Et parce que vos bousculades me donnent quelque chose à dire, plutôt que rien.