Bien sûr, il s'agissait des balances dont on se sert pour peser, car malgré les efforts de ses partisans, l'astrologie n'est pas encore admise dans les programmes scolaires.
Toutefois, en vertu du principe d'analogie qui régit cette science, on peut admettre que les qualités de la balance qui pèse ont toutes chances de refléter les qualités de la Balance qui est pesée. Et, soit dit en passant, Mademoiselle Balance, très attentive à sa ligne, ne manque pas de se peser régulièrement.

Dire qu'elle est coquette ne serait qu’un doux euphémisme. Mademoiselle Balance est femme, on ne peut plus femme, jusqu'au plus glamour de l’art de plaire. Nous ferons même l'hypothèse que Dieu créa la femme au plus clair de l'automne, au plus juteux des fruits, au plus doré des pommes.
Ève serait donc Balance. Dieu se serait dit que pour séduire Adam, qui n'avait pas l'habitude du beau sexe, il faudrait doter Ève d'une divine patronne qui fût aussi affriolante que Vénus, déesse de la beauté.

On ne s'étonnera pas de cette aimable anticipation mythologique. Dieu savait déjà qu'après tant d'efforts – par définition surhumains – il sous-traiterait pour un temps sa création au paganisme, lequel découvrirait l'astrologie, laquelle serait plus tard couverte d’opprobre par les rationalistes, lesquels en viendraient à le mettre en doute, Lui, Dieu!
Il prit donc un malin plaisir à cautionner par avance le parti de l'irrationnel.

Pour en revenir à Ève, elle trouva le bel Adam tout à fait à son goût, quoiqu'un peu tassé d'un côté. Discrètement, lors d'un premier ébat, elle compta du bout des doigts et s’aperçut qu’il manquait une côte de ce côté là. Elle ne fit aucune réflexion, surtout pas à Dieu, mais en conçut une sainte et définitive horreur de la dissymétrie, une vocation de l'équilibre qui devait se transmettre, aussi sûrement que la faute originelle, à toutes les Balances à venir.
Et c'est en toute cohérence avec ce culte de la perfection qu'il revint à Vénus de régir le septième Signe du Zodiaque.

Le moment est venu de rappeler un qualificatif dont Vénus détient l'exclusivité des droits : callipyge. Parler de la Vénus callipyge est une façon savante de lui reconnaître de belles fesses.
Adam s'en était bel et bien avisé, empressé qu’il fut de goûter au fruit joliment pommelé — le choux-fleur ne fut inventé que beaucoup plus tard.
Il rendit grâce à Dieu d'avoir créé son Ève aussi callipyge. N'en doutons pas et saluons en au passage l'appellation contrôlée.
Comme le suggèrent l'orthographe et la sémantique fessière, le terme est d'origine grecque. Son prestige retentit sur toutes les vénusiennes en les faisant bénéficier d'un a priori flatteur.

Sur ce critère, une compétition pourrait même s’engager entre les vénusiennes de la Balance et celles du Taureau. Impossible d’en prévoir l’issue car nous ne disposons à ce jour d'aucune étude sérieuse ni de statistiques fiables quant à leurs mérites comparés.
L'astrologie pourrait tout au plus avancer que les vénusiennes du Taureau, plus gourmandes, auraient la séduction des callipyges pulpeuses, tandis que celles de la Balance, aériennes et prédisposées à la danse, porteraient la rondeur plus haut et plus ferme, se classant volontiers parmi les callipyges graciles.

Mais il faudrait bien plus que cette rapide évocation pour inventorier tous les charmes de la Balance. À prolonger la visite, recto-verso, on découvrirait d'autres attributs, méritant eux aussi des adjectifs rares et des visites fréquentes. Ils proposent à l'épreuve de la nudité l'excellence de leur symétrie, nous condamnent à l’indécision du choix et nous invitent à la délicatesse d’accès.

Chaque native de la Balance est une nouvelle Ève.
Évidente et incertaine, elle éveille nos perplexités. On ne sait trop de quel coté elle penche. Si elle est offerte ou refusée. Selon le regard que l’on pose ou le contact qu’elle autorise, elle apparaît douce-amère, sucrée-salée, mi-ange mi-démon, mi-figue mi-raison.
Une certitude : elle sera toujours très regardée. Mais celui qui oserait toucher sans invite suffisante pourrait en éprouver une impression mi-feu mi-glace. Pas touche à Mademoiselle Balance, elle n’est guère familière des familiarités. Outrepasser le goût de bisou pourrait vous exposer au coup de grisou.

Conclusion : impossible de lui résister autant que dangereux de l'aborder sans pudeur dans l'attitude, sans réserve dans la progression.
Retenez donc votre souffle. Approchez-vous à portée du sien. Vous voilà au pied du murmure. Elle vous écoute. Au risque de s'envoler, elle bat de ses paupières en ailes de papillon. Elle s’anime. Chacun de ses gestes a des élégances d'arabesque.
Car la Balance est la ballerine du zodiaque. En toute ingénuité, elle éveille des pensées de mousseline et des tentations de taffetas dans l'imaginaire des vieux messieurs à jumelles de théâtre.
Des loges de l'Opéra au parterre de l'opérette, elle enchante et elle persécute. Sitôt qu'oublieuse de Giselle et des Sylphides, elle devient Véronique pour des envols de balançoire. Alors, dans le même élan que les archets d’orchestre, veillez donc, Monsieur Florestan, à ne pas pousser l'escarpolette un peu loin.

Nous sommes tous des Monsieur Florestan. Mais nous pouvons la rencontrer bien ailleurs. Dans un salon ou dans un jardin. Sur un couvercle de pralines — elle et sa balancelle — ou dans une boite où l'on danse le denier rythme à la mode. Elle a autant de charme à la ville qu'à la scène.

Continue donc de veiller sur elle, toi Vénus, et ne lui inspire que de bons plans. Plans inclinés, bien sûr. À descendre en douceur. Lorsque Mademoiselle Balance vous dit : "J'ai un petit penchant pour toi", alors et alors seulement, vous êtes autorisé à glisser dans le toboggan de sa séduction.

« Vêtue de nudité candide et de lin blanc » — mais j’en sais qui ont d'aimables dessous noirs — voyez-la vous provoquer en étirements lascifs où tout n'est que prétexte à promouvoir le buste pour mieux vous émouvoir.
D'un clin d’œil rimmel, à travers le mensonge des paupières mi-closes, elle regarde si vous la regardez. Sitôt qu'elle a piégé vos yeux, voyez comme elle accentue la cambrure.
Et là, c’est vous qui craquez.
Ainsi Mademoiselle Balance est-elle devenue Madame Balance.

Sage précaution, avant d’unir vos ciels de lit, vous vous étiez allés ensemble consulter un astrologue. Il avait vérifié l’accord parfait de vos thèmes astraux. (Il aurait même constaté que vos maisons cinq — celles des amours — étaient en excellent aspect : trigone, peut-être même sextile de très bon augure!)

À peine étiez-vous engagés dans la vie commune, que tout devenait harmonieux — harmonie est le maître mot de la Balance.
Le journal de vingt heures ne vous annonçait plus que de bonnes nouvelles et le bulletin météo, du beau temps. Il suffisait de passer un chiffon sur les carreaux pour que l’azur brille encore plus et que le chiffon devienne tout bleu. Il ne restait plus qu’à le tendre pour y peindre des vagues, des bigoudis d’écume et des bateaux.
"Tu me feras un enfant !", disait votre Balance en posant le pinceau sur la palette et ses lèvres sur les vôtres...
Il n'était vraiment que le trop beau pour être vrai.
Those were the days : souvenez-vous ! C'était quand? Quelque part dans les trente glorieuses ? Ou peut-être après... Julien Clerc chantait-il déjà Roda Gil ? Brigitte serrait-elle encore sa taille dans des tissus vichy, ou bien volait-elle au secours des bébés phoques sur la banquise ?
Difficile à dire. Vous n'avez que le souvenir de Madame Balance pleurant de bonheur avec vous à la lecture éternelle de Rimbaud.

Une fois, vous aviez tenté de lui faire partager une inquiétude. Vous lui aviez dit : — "Tu sais, j'ai des soucis... "
Elle n'avait rien imaginé d'autre qu'un parterre de fleurs. Elle avait demandé à les voir. Alors vous :
—"Tu les verras au printemps lorsqu'ils seront fleuris."
Que lui répondre d'autre ?
Adieu soucis. Au printemps, son ventre vous offrait un bel enfant.
L'astrologue vous l'avait bien dit : avec la Balance, tout ne peut aller que pour le mieux dans le meilleur des ciels possibles.

Un fois, pourtant, elle vous a paru sombre. Elle était assise devant sa coiffeuse. Elle a tourné vers vous un beau visage tourmenté :
— " C'est Lui! Je sais que c'est Lui! Lui le mangeur d'enfance, Lui le vieillard perché sur son échafaud d’âge!"
Elle était pathétique. Vous vous êtes approché. Elle vous a montré une amorce de ride ou un cheveu blanc: — Tu vois! C'est Lui. Lui qui me les aura glissés dans mon miroir..."
Elle parlait de Saturne.

Saturne est le second maître de la Balance. Comme la fille d’un père trop sévère, elle entretient avec ce rabat-joie des rapports souvent tendus. Elle ne lui emprunte que le minimum : le sens de la mesure, le goût du juste milieu. Seulement voilà, il symbolise le temps, l'âge. Son érosion est lente mais inexorable.
Inquiet, vous vous en êtes allé — seul cette fois — consulter l'astrologue. Il vous a tout bien expliqué . De temps en temps, l'austère Saturne s’amuse avec le temps. Sur le front, il vous pose une rayure d'étoile filante. Dans votre chevelure, il insinue un fil blanc de comète. C'est normal ! Rien d’alarmant. Ça prend de longs, de très longs jours et autant de nuits avant qu'il n’y paraisse vraiment.
Vous êtes revenu, un peu rassuré.
Elle vous attendait. Son sourire guettait votre retour.
Plus aucune trace. Ni d'étoile filante, ni de comète.
Le miroir avait dû se tromper....

À moins que ce fût nous. Qu’au mépris de la grammaire nous ayons mal accordé les temps.
Oui : c'est seulement hier que, pour la première fois, vous l’avez rencontré, votre Balance.
Elle est jeune, belle et rayonnante.
Vos soucis ne sont toujours que des fleurs.
Tout reste à vivre.