Il était une fois une fée qui dormait tout le temps.
Elle dormait sans s’arrêter d’un big-bang à l’autre, c'est-à-dire, pendant une bonne centaine de milliards d'années. C’est très long pour un humain, presque rien pour cette fée, à peu près comme une nuit pour nous.
Evidemment, comme il s'était déjà produit une infinité de big-bang et qu’à chaque univers on repartait de zéro, personne ne se souvenait du nom de la fée. C’est pourquoi on l’appelait la Fée sans Nom.
Pendant les cinquante milliards d’années où l’univers se dilatait et les cinquante autres où il se rétrécissait, la paresseuse se laissait bercer par le ronronnement des astres qui se tournaient autour à une distance toujours respectueuse car chacun se trouvait le plus beau et ceux qui se croient les plus beaux sont aussi souvent les plus timides.
Mais quand de trou noir en trou noir, l’univers de l’époque avec toutes ses galaxies avait fini par se contracter au point de devenir gros comme une orange et que les objets célestes plus serrés que dans une boite de sardines étaient contraints à l'immobilité, il se formait un grand silence.
Et c’était précisément ce silence assourdissant de l'espace infini qui effrayait la Fée sans Nom et finissait par la réveiller.
Et malheur à l’orange si elle avait eu la mauvaise idée de finir ses contractions une poignée de milliards d’années en avance, elle se faisait traiter de tous les noms par la Fée sans Nom.
« Oh! Non ! Pas déjà ! Tu ne pouvais pas me laisser dormir ? J’avais encore un crédit de trois milliards d’années !» fulminait la Fée sans Nom tout en secouant rageusement l’orange cosmique.
« Comment vais-je faire maintenant pour relancer les astres et pouvoir me rendormir ? Tiens, avec la forme que j’ai, cela va être facile, à présent, de retrouver mon doseur magique et mes poudriers de matière et d’anti-matière ! »
Par contre si l’orange cosmique se présentait en retard, la Fée sans Nom qui avait alors eu largement son compte de sommeil se réveillait d’humeur badine : « Eh, bonjour l’orange cosmique, comme tu es jolie ! C’est bien gentil de passer me voir ! Bon, après tout, ce n’est pas si souvent que je suis réveillée, je crois que je vais en profiter un peu ! Et si j’allais faire un petit tour pour de rire dans le néant ? »
Sitôt dit, sitôt fait. Facile ! Il lui suffisait alors d’ajouter une mesure de poudre d’anti-matière à celle déjà contenue dans l’orange cosmique !
Et à ce moment là, prodige ! Matière et anti-matière s’annulant, l’orange disparaissait et hop, la Fée sans Nom basculait dans le néant, et le vrai néant s’il vous plait, pas celui des philosophes.
En effet, les humains ne peuvent pas savoir pas ce qu’est le néant en vrai. Bien sur, ils peuvent toujours le penser avec des mots mais ce n’est jamais comme dans la réalité parce que dans la réalité il y a toujours quelque chose, comme le vide, par exemple,qui sert à remplir les déclarations d' intention.
Mais le néant en vrai, celui qu' aucun humain ne pourra jamais connaître, une fois qu'on y est, n’est pas très drôle en fait. C’est amusant comme ça pour voir, mais justement on ne voit rien. Plus rien n’existe. Le rien n’existe pas lui-même, ni le temps ni l’espace. Il y a ni plein, ni vide, ni personne, ni bruit ni silence pas même d’orange cosmique pour vous tenir compagnie ! On s’y ennuie à mort et le plus triste c’est qu’on ne sait même pas où on s’ennuie ni depuis combien de temps ni quand on va arrêter de s’ennuyer.
Alors, très vite, encore que ce ne soit pas facile de savoir en combien de temps, car dans le néant il n'y a pas de montres à quartz, enfin assez vite tout de même, la Fée sans Nom se remettait au travail.
Elle retirait la mesure d’anti-matière qu’elle avait déposé dans l’orange cosmique et voilà notre orange qui retrouvait le déséquilibre sans lequel il n’y a pas d’existence et ressortait illico du néant pour revenir dans le monde avec ses deux compères, le temps et l' espace. La Fée sans Nom restait à bavarder un petit moment avec l’orange mais jamais très longtemps, rarement plus d’un milliard d’années car elle avait besoin dormir et que l’orange cosmique s’ennuyait vite.
Arrivait donc le matin du grand soir où la Fée sans Nom tirait de son poudrier magique une seconde mesure de matière qu’elle glissait à l'intérieur d'une orange cosmique frémissant d'impatience.
La suite manquait d' originalité. Souffle et baguette magique et, hop ! « Madame l’orange cosmique, vous êtes priée d’attacher votre ceinture, nous allons bientôt décoller pour le big-bang ! »
Alors là, quel feu d’artifice, les amis ! Mais, à peine le premier centième de seconde achevé pour expédier les astres dans l’univers qu’au deuxième notre paresseuse était déjà repartie pour sa nuit de cent milliards d’années.
Et, à chaque fois, cela ne ratait pas. Pendant le sommeil de la Fée sans Nom, après le big-bang, c’était le big-bazar !
Livré à lui-même, l’univers se débrouillait tout seul et pas toujours très bien. Surtout à cause des planètes amoureuses. Ah, celles là ! En effet, les soleils n’avaient même pas eu le temps de trouver une place que des planètes leur tournaient déjà autour et n'avaient d' yeux que pour leur mirliflore!
Les planètes auraient pu accueillir des quantités de gens, mais voyez vous, l’amour est souvent aveugle et toujours égoïste. Croyez vous qu’une seule planète, y compris la terre, se soit préoccupé un jour, pour pouvoir héberger confortablement des hôtes, de savoir si elle était à la bonne distance de son soleil?
Si bien que parfois entre deux big-bang, il n’y avait même pas une seule planète habitée! Un dé-s-astre! D’autres fois, des milliers! Allez comprendre !
Ainsi, pendant que les astres jouaient à se tourner autour sans jamais oser se toucher, la Fée sans Nom dormait à poings fermés en se fichant comme de sa première baguette magique de l’expansion ou de la contraction de l’univers, ou de détails du genre tsunami ou grippe aviaire.
On sait que les humains des univers précédents, lorsqu’il y en avait, n’ont jamais cherché à la réveiller de peur de la mettre en colère.
Par contre, je trouve que les savants actuels sont d’une curiosité qui frise parfois l’impolitesse.Nos astrologues pour qui j'ai de l'estime car ils sont dotés d'un solide sens pratique (à ne pas confondre avec les astrophysiciens, des songe-creux avec de belles théories!) voudraient en effet lancer un vaisseau spatial pour interviewer la Fée sans Nom sur les univers d’avant.
Quelle que soit ma considération pour les astrologues, je tire le signal d'alarme. J’ai d’ailleurs déjà signé la pétition mondiale des verts pour qu’on la laisse en paix. C’est préférable, si l’on veut qu’elle soit en pleine forme pour le prochain big-bang.
Soyons raisonnables. Que pourrait-elle nous apprendre vu qu’elle est comme un bébé qui dort tout le temps ? Et sur quoi, je vous demande un peu ! Nous parler d’elle ou de l’orange cosmique ? La belle affaire ! On trouve le nombre d'or de la proportion de matière et d ’anti-matière de l'orange cosmique dans tous les bons manuels d'astrologie. Quant à l' histoire de la Fée sans Nom, elle vient d'être intégrée au programme de sixième de l'an prochain!
Il faut bien admettre que sur l’infinité des univers précédents, nos renseignements sont maigres. Quelques poètes ont bien eu quelques nouvelles, mais ils sont rares. Le dernier en date est un aviateur tombé en panne dans le désert. Il a trouvé là un petit garçon venu d’un autre monde qui avait choisi d’atterrir sur une dune de sable pour éviter de se faire mal. Ce dernier lui a parlé de ses séjours sur plusieurs planètes d’un univers précédent, mais il n’a pas pu dire lequel. Il semble que les gens n’y étaient pas aussi heureux que nous sur la terre. Il vivaient tout seuls sur des planètes séparées sans pouvoir s’envoyer de mails et n’arrêtaient pas de se plaindre alors que, mis à part internet, ils avaient tout pour être satisfaits.
Pour ma part, il y a bien longtemps, dans ma jeunesse, se tenait devant notre église un clochard très gentil à qui ma mère m'avait interdit de parler. Elle tenait d'ailleurs à me montrer l'exemple en lui faisant la charité sans lui dire bonjour. En cachette de ma mère, je suis resté de longues heures à écouter le clochard très gentil me raconter le merveilleux voyage de deux enfants, frère et soeur jumeaux, sur des planètes du dernier univers. Il était déjà vieux et très malade parce qu’un soir une ambulance est venue le chercher. Il est sans doute mort à présent.
Un jour, je transcrirai l’histoire des jumeaux dans un autre conte.
Mais ce que m’a raconté à l’époque le gentil clochard est si étrange que je ne l’ai répété à personne et j’estime qu' il est de mon devoir de ne pas le faire avant d’avoir effectué quelques petites vérifications scientifiques en laboratoire. On n’est jamais trop prudent, n'est ce pas?

André Youx
Avanton, 1er octobre 2007