Elle avait pourtant programmé le réveil téléphonique à trois heures trente, mais la ligne a été coupée à minuit. Elle a bien entendu le « kling » d’interruption, mais dans son doux rêve, c’était le bruit que faisait le couteau du chasseur sur la pile cardiaque de la belle au bois dormant.
Il est cinq heures cinq, Bussabosse vient de se réveiller, elle ne peut que constater qu’elle est en retard. Le Moching 477 a décollé il y a vingt-cinq minutes. Et, il lui faut absolument être à sept heures au rendez-vous ! Elle ne peut tout de même pas rater la cérémonie d’ouverture du congrès !
Elle enfourche donc son balai mécanique et le met au défi de rattraper, de dépasser même, le Moching, aussi majestueux et fier qu’un beau corbeau noir. Le balai décolle doucement, puis la mécanique s’emballe, et le balai atteint rapidement une belle vitesse de croisière. Toutefois, les incessants reculs du balai, nécessaires malgré tout pour avancer plus encore, font enrager Bussabosse. Elle aurait été tellement mieux, vautrée dans un fauteuil du Moching, à siroter un jus d’orties et à grignoter des araignées confites ! Mais les choses sont ainsi ce matin !
Alors qu’elle peste contre ce maudit téléphone, car c’est bien lui le responsable, elle aperçoit au loin le Moching. Bussabosse jubile, le défi est sur le point d’être gagné.
Elle traverse alors un gros nuage cotonneux, et là, catastrophe ! ! Les fibres du nuage enrayent la belle mécanique du balai !
« Flûte, flûte et reflûte ! ! Orchestre de flûtes ! ! Espèce de sale nuage, tu n’es bon qu’à faire rêver ces idiotes de princesses quand tu apparais en beau cheval blanc portant sur ton dos un prince tellement béat qu’il en devient niais. Alors, de quoi te mêles-tu à me retarder plus encore que je ne le suis ? Espèce de sale nuage . . . Tiens, tiens, tu vas me le payer ! ! »

Bussabosse descend de sa monture, s’approche du corps du balai, de son ventre plus précisément et essaie d’arracher les fibres de nuage qui empêchent le redémarrage de l’engin. Elle tire tellement fort que le caisson de ramassage des ordures s’ouvre. D’horribles moutons de poussières, noirs, se déversent sur le blanc immaculé du nuage, qui, du coup, devient complètement noir. Elle dégage alors les derniers filaments, referme l’estomac du balai dévoreur et l’entraîne vers le chemin de la sortie.
Avec tout cela, Bussabosse est encore en retard, loin derrière le Moching. De rage, elle donne un coup de talon dans le nuage, dans le sens inverse à celui de sa route. Elle y a mis tellement d’énergie que le nuage file à toute vitesse. Ebahie, Bussabosse regarde le nuage tout en se demandant si elle est bien la responsable de cet exploit ; à moins que ce ne soit son diable gardien. Tout d’un coup, le nuage s’arrête net, et, devinez où ? Juste au-dessus du bâtiment qui abrite le service des réveils téléphoniques.
« Merci, petit diablotin gardien ! » s’exclame Bussabosse. Elle retire alors, de son chignon, une épingle à cheveux, et la lance en direction du nuage. L’épingle l’atteint en plein cœur, et le nuage se crève alors piteusement. Une pluie de poussière noire se déverse sur le bâtiment, s’infiltrant partout, jusque dans le système informatique des réveils et provoquant une méga panne.
Bussabosse est vengée, il lui faut maintenant penser à rattraper son retard. Elle remonte sur son balai et met les gaz. Le diablotin gardien n’a pas dû s’éloigner, car Bussabosse sent maintenant un souffle de vent s’engouffrer dans ses jupes et la propulser vers Budalèpre.

Bussabosse arrive à la hauteur du Moching. A travers le hublot, elle voit que beaucoup de ses copines sont à l’intérieur, Cruella lui fait même de grands signes de salutations, et tout devant apparaît Budalèpre. Bussabosse se pose alors sur l’aile du Moching pour l’atterrissage. Il est six heures trente, Bussabosse sera exacte au rendez-vous.
Ce jour-là, tout le monde, mises à part les sorcières, a fait la grasse matinée. Eh ! Oui ! Le réveil téléphonique n’a pas fonctionné ! Ainsi, personne n’a pu savoir ce qui avait été décidé au Congrès.
Quelles mauvaises surprises les sorcières nous ont-elles réservées ? ? ...